Philosophie
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Sujets du Bac corrigés: Dissertations
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Quelle conception de l'homme l'hypothèse de l'inconscient remet elle en cause?
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Sujet Corrigé du bac 96
I - LES TERMES DU SUJET
Le sujet fait référence à une conception de l'homme. Il faut entendre par là une certaine idée, une certaine représentation de l'essence de l'homme. Le "de" doit être entendu comme un génitif objectif : on doit s'interroger sur les différentes définitions possibles de l'objet "homme". Le sujet suppose, comme un préalable, l'existence d'une "hypothèse de l'inconscient". Cette hypothèse est à l'évidence celle de la psychanalyse, ou du moins de toute théorie psychologique impliquant l'idée d'une séparation du psychisme, laissant apparaître une "face cachée" de l'activité psychique. Il ne faudra pas négliger le terme d'"hypothèse", qui renvoie à la dimension historique et provisoire, soumise à réévaluation et à vérification, de tout énoncé scientifique ou, plus généralement, philosophique. C'est à la question de l'histoire des idées que renvoie également l'idée d'une "remise en cause" de telle ou telle conception de l'homme.
II - ANALYSE DU PROBLEME
Il convient d'identifier et de comparer les hypothèses successivement proposées, dans l'histoire de la philosophie, relatives à l'essence de l'homme, et en référence au rôle de la conscience dans ces définitions essentielles. La problématique est donc la suivante : dans quelle mesure le rôle et les limites de la conscience sont-ils décisifs pour une définition de l'objet "homme" ? Et quelles sont les différentes hypothèses anthropologiques en présence ? Enfin comment peut se résoudre cette confrontation des hypothèses ?
III - LES GRANDES LIGNES DE REFLEXION
Il est essentiel de commencer par préciser ce que l'on entend par "hypothèse de l'inconscient", donc de donner les principaux éléments doctrinaux du freudisme, mais aussi, à certains égards, de la pensée de NIETZSCHE ou de celle de MARX. On pourra alors, dans un second temps, en tirer les conséquences relatives aux fondements de l'essence de l'homme, et comparer ces conséquences anthropologiques à d'autres doctrines, telles que celles de la tradition rationaliste. Il conviendra enfin de ne pas confondre "remise en cause" et réfutation, et de montrer ce que le freudisme, par exemple, conserve nécessairement de la tradition rationaliste.
IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE
A - EN QUOI CONSISTE L'HYPOTHESE DE L'INCONSCIENT ?
1 - En 1900, NIETZSCHE meurt
et FREUD publie l'interprétation des rêves. Ces deux penseurs marquent ce que l'on a pu appeler "l'ère du soupçon", en ce qu'ils introduisent des méthodes et des hypothèses radicalement nouvelles dans l'histoire de la pensée : selon ces auteurs, derrière les représentations et les activités conscientes du sujet, il faut soupçonner des forces psychiques inconscientes, qui échappent à la maîtrise et à la volonté du sujet lui-même. NIETZSCHE décrypte, derrière les affirmations conscientes d'un philosophe, des "confessions involontaires", un réseau souterrain et inconscient d'instincts, de désirs, de forces obscures qui le déterminent à engager sa réflexion dans telle ou telle direction. MARX, de même, dénonce dans les systèmes de valeurs des "idéologies" déterminées historiquement, qui ne doivent rien à la libre réflexion des individus qui les adoptent, mais qui s'expliquent par des nécessités sociales et économiques, un certain état de la production économique et de la lutte des classes. FREUD, enfin, décrit l'activité psychique comme un système dynamique de pulsions, marqué par un conflit entre des pulsions libidinales qui cherchent à s'exprimer, et une censure (elle-même inconsciente) qui travaille à maintenir les pulsions inconscientes en les refoulant.
2 - Ces trois constructions
philosophiques ont deux points communs. D'abord elles posent l'existence de représentations (donc de réalités psychiques ou mentales) inconscientes : ces représentations sont présentes, elles agissent sur la volonté et les actes de l'individu, mais l'individu n'en a pas conscience, il ne peut donc, aussi longtemps qu'elles sont inconscientes s'en rendre maître. Cependant l'existence de représentations inconscientes avait déjà été évoquée par certains auteurs classiques, tels LEIBNIZ, qui avait souligné que l'on ne peut prendre conscience, lorsque l'on entend le bruit de la mer, du bruit de chaque vaguelette, que l'on entend pourtant bien d'une façon ou d'une autre. Ce qui distingue donc des auteurs tels que ceux évoqués plus haut, est l'idée d'une force contraignante (par exemple le "surmoi" chez FREUD) qui interdit la venue à la conscience de certaines représentations. Il existe donc pour FREUD une nécessité de l'inconscient, un travail de résistance qui interdit à la conscience, quelle que soit l'attention qu'elle y met, d'accéder à une certaine partie du psychisme.
B - LES CONSEQUENCES ANTHROPOLOGIQUES DE CETTE HYPOTHESE
1 - La tradition philosophique issue
de PLATON avait jusqu'alors identifié le psychisme à la conscience. Quelles que soient les luttes que la volonté libre, appuyée sur la raison, pouvait avoir à mener contre les forces obscures des passions, ni PLATON, ni DESCARTES, ni les philosophes des lumières ne doutaient que l'âme de l'homme ne puisse, à terme, devenir entièrement transparente à elle-même.
2 - L'enjeu de cette supposition
renvoie à la question de la responsabilité, tant théorique que pratique, du sujet. Des auteurs tels que MARX, NIETZSCHE ou FREUD pointent l'existence d'une zone d'irresponsabilité dans les représentations et les activités humaines : ce dont je n'ai pas conscience m'échappe, je ne peux en revendiquer la maîtrise, j'en suis en quelque façon le jouet. Comme l'écrira FREUD dans les cinq leçons sur la psychanalyse. La conception d'un homme essentiellement défini par sa raison, fondement d'une liberté au sens fort d'une autonomie, semble donc mise en péril par l'hypothèse de l'inconscient. L'idée de l'homme, au sens d'un sujet ou d'une substance auto-fondée, s'efface peu à peu de la scène épistémologique, comme une figure dessinée sur le sable, lorsque déferle la vague. C'est du moins ce qu'affirme MICHEL FOUCAULT en conclusion Des mots et les choses .
C - COMMENT PENSER CETTE REMISE EN CAUSE ?
Cependant cette remise en cause doit-elle être considérée comme une réfutation définitive ? Doit-on renoncer à attribuer à l'homme une responsabilité fondée sur l'usage de sa raison ? Rien n'est moins sûr. Après tout, MARX écrivant le manifeste du parti communiste , appelle à une action politique consciente et volontariste. FREUD, de même, propose avec la psychanalyse une méthode d'investigation de l'inconscient et de reconquête d'une maîtrise consciente du psychisme : où est le "ça" ?, écrit FREUD dans l'introduction à la psychanalyse. Comment affirmer plus nettement l'acte de foi nécessaire de toute recherche consciente et intelligente, dans la puissance souveraine (même si il s'agit d'une souveraineté négociée) de la conscience appuyée sur la réflexion ?
V - QUELQUES REFERENCES POSSIBLES
- MARX, Préface à la critique de l'économie politique. - NIETZSCHE, Par delà bien et mal. - FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse. - PLATON, La République, livre V. - DESCARTES, Les passions de l'âme.
VI - LES FAUSSES PISTES
Il ne faut pas entendre "conception de l'homme" au sens de : les représentations que l'homme possède mais au sens de : la représentation que l'on peut se faire de l'homme. Il ne faut pas confondre "hypothèse de l'inconscient" avec : "état d'inconscience". Il ne faut pas confondre "mettre en cause" et "réfuter", et tomber dans une réfutation simpliste de toute croyance dans la liberté.
VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR
Le sujet suppose des connaissances assez précises, et un certain sens de la nuance. Il permet de vérifier que la connaissance de la doctrine freudienne est maîtrisée. L'enjeu de cette question est celui de la responsabilité individuelle : un criminel peut-il se cacher derrière son inconscient pour se dérober à ses responsabilités ?
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