Maths.net
Philosophie
Sujets du Bac corrigés: Dissertation
Pourquoi nous trompons nous?

I - LES TERMES DU SUJET

L'énoncé semble simple et sans ambiguïté. Il faut cependant donner à chaque terme toute sa signification. Le "pourquoi" peut renvoyer à une simple explication causale, mais aussi à une détermination de fins : n'y a-t-il pas des buts cachés à l'erreur ?
D'autre part, "se tromper" signifie évidemment faire erreur ; cependant il peut être intéressant de se référer à l'idée de "tromperie". La phrase peut en particulier signifier : pourquoi nous trompons-nous les uns les autres ?


II - ANALYSE DU PROBLEME

L'erreur est un fait, que l'on constate pour la regretter le plus souvent, et que l'on croit expliquer par la phrase :"l'erreur est humaine". Cependant, la nécessité d'une véritable explication se fait sentir si l'on constate que l'erreur peut parfois résister à la réfutation, et qu'elle est de toute façon aberrante si l'on part du postulat que nous désirons la vérité.
La question à traiter est donc : peut-on assigner des causes précises à l'erreur - ce qui permettrait de les prévenir et de les éviter, de ne pas subir passivement l'erreur ?


III - LES GRANDES LIGNES

Le désir de comprendre l'erreur renvoie au désir de l'éviter. Cette question est donc subordonnée à l'entreprise de construction d'une méthode, entreprise dont l'oeuvre de DESCARTES donne l'exemple par excellence.
Cependant, l'analyse de l'erreur par DESCARTES laisse subsister la croyance selon laquelle les causes de l'erreur ne seraient que négatives, et relèveraient d'un défaut d'attention et de respect des règles de constitution de la vérité. Or, il faut sans doute ajouter à cela des causes "positives" : n'est-il pas concevable que je puisse désirer me tromper ? Les motivations de l'erreur pouvant être trouvées du côté du désir, on devra alors, au moins pour une part, décrire le fait de se tromper soi-même comme une tromperie, un mensonge plus ou moins conscient, à l'image des mensonges et des ruses intéressés par lesquels nous nous trompons les uns les autres. C'est là le mécanisme de ce que SARTRE nomme la "mauvaise foi".


IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - LES MECANISMES DE PRODUCTION DE L'ERREUR

1 - ERREUR ET FAUTE DE METHODE DESCARTES

Après avoir montré que l'on ne peut pas douter de tout, et même qu'il est possible de construire et de détenir de nombreuses certitudes, revient sur la question de l'erreur. Après tout, l'origine du doute est l'expérience de l'erreur ; aussi la reconquête des certitudes implique-t-elle une maîtrise de l'erreur, donc une connaissance de ses mécanismes.

2 - L'ANALYSE CARTESIENNE DE L'ERREUR

DESCARTES commence par montrer comment l'erreur est possible. Notre faculté d'opiner, donc d'assentir ou de nier, c'est-à-dire au fond notre liberté, est infinie : elle peut se porter sur n'importe quel objet, elle peut produire des jugements sans limite. En revanche, notre entendement, c'est-à-dire notre faculté de former et de manipuler des concepts clairs et distincts, est fini. Il ne peut connaître n'importe quel objet, ni n'importe comment. La cause principale de l'erreur consiste donc à ne pas contenir la volonté dans les bornes de l'entendement. Pour ne pas se tromper, il ne faut pas vouloir se prononcer sur des objets inconnaissables, et il faut conformer les processus de la recherche de la vérité aux règles de la méthode (commencer par le plus simple et le plus évident, enchaîner les énoncés par des chaînes de raison, à la façon des mathématiciens).

B - LES LIMITES DE L'APPROCHE PRECEDENTE

1 - LA RESISTANCE DE CERTAINES ERREURS

Nous nous trompons, selon DESCARTES, parce que nous laissons aller notre volonté ; si nous avons la résolution de ne pas nous tromper, une ferme attention aux règles de la méthode doit permettre d'éliminer toute erreur. Cependant, nous faisons souvent l'expérience d'une erreur qui résiste à la démonstration de la vérité et de la réfutation la plus méthodique. On doit alors soupçonner que des raisons plus profondes, et d'une autre nature, enracinent l'erreur dans la conviction.

2 - ERREUR ET ILLUSION FREUD

a souligné un tel mécanisme de production "positive" de l'erreur dans l'avenir d'une illusion. La cause de l'erreur peut être, d'après FREUD, le désir, et l'erreur doit alors être appelée illusion. KANT a décrit un phénomène semblable en montrant pourquoi l'esprit humain cherche inlassablement à connaître et à décrire des objets inconnaissables, parce que dépassant les limites de toute connaissance possible (Dieu, l'âme, le monde comme totalité). La raison est poussée à cette recherche impossible par une "tendance", un véritable désir théorique auquel elle ne peut renoncer, et qui la conduit à l'illusion transcendantale de la connaissance métaphysique.

C - LE PROCESSUS DE LA MAUVAISE FOI UNE TROMPERIE INTENTIONNELLE

Que le rapport à la vérité puisse être compromis avec le désir explique que la mauvaise foi, c'est-à-dire une tromperie plus ou moins intentionnelle, domine ou parasite l'usage que nous faisons de la vérité. La vérité n'est pas un objet neutre, enjeu d'une simple visée contemplative et désintéressée. Elle est au contraire un enjeu central auquel nos désirs sont au plus haut point intéressés. Nous avons souvent intérêt -du moins du point de vue de notre confort égoïste- à tromper les autres ; mais nous avons souvent aussi intérêt à nous tromper nous-mêmes, pour préserver notre confort moral et intellectuel - qu'il s'agisse de conserver un préjugé familier et rassurant, de faire un acte apparemment involontaire, mais qui nous arrange bien (ce que FREUD nomme un "acte manqué"), ou encore de donner une apparence de justification à une injustice dont nous bénéficions.

V - QUELQUES REFERENCES POSSIBLES

DESCARTES, Discours de la méthode
DESCARTES, Règles pour la direction de l'esprit
KANT, Critique de la raison pure, "dialectique transcendantale"
FREUD, L'avenir d'une illusion
SARTRE, L'être et le néant


VI - LES FAUSSES PISTES :

Le risque est de s'en tenir à un aveu d'impuissance, à un postulat de fatalité concernant l'erreur, qui ne serait rien de plus qu'un accident incompréhensible. Il ne fallait pas non plus sombrer dans une complainte moralisatrice sur la méchanceté des hommes qui se trompent les uns les autres. .

VII - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR :

La question pouvait être traitée avec peu de connaissance et un effort de bon sens et de raisonnement. Elle demandait cependant un véritable effort philosophique, consistant à dépasser le simple constat paresseux de l'erreur, pour apercevoir que la pensée n'est pas une simple activité de production d'idées et d'opinions, mais aussi et surtout un travail de réflexion sur elle-même, d'auto-discipline et d'auto-correction.



Retour