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Philosophie
Sujets du Bac corrigés: Dissertation
Si le droit est relatif aux temps et aux lieux, faut il renoncer à l'idée d'une justice universelle?

Corrigé du Sujet 1 Serie L 1997

I - LES TERMES DU SUJET

Le droit peut être pris en plusieurs sens. Il faut donc veiller ici à distinguer entre ces sens, qui ouvrent des perspectives problématiques distinctes. Au sens large, on nomme "droit" tout système de normes collectives, à partir desquelles sont définis et garantis des droits dits subjectifs ("j'ai le droit de...").
On distingue alors le droit positif du "droit naturel" (ou supposé tel). Le droit positif est le droit "posé", déposé dans les textes de loi, effectivement appliqué dans les états réels.
Le concept de justice renvoie quant à lui à l'application du droit, et peut donc également être pris en deux sens, selon la nature du droit mis en application : soit il s'agit du système judiciaire de tel ou tel pays, soit il s'agit des rapports "moraux" qui s'instituent entre les individus.


II - ANALYSE DU PROBLEME

La formulation du sujet, quoique complexe, est sans véritable ambiguïté. L'hypothèse marquée par le "si" renvoie à l'existence de systèmes juridiques distincts et différents selon les pays et les lieux : le "droit" dont il s'agit alors est donc le droit positif
Quant à la deuxième partie du sujet, elle fait référence à la justice "universelle", c'est-à-dire unique et "transcendante" aux diversités géographiques et historiques.
La question renvoie donc à l'opposition et à la tension entre les systèmes de droit particuliers, d'une part, et le souci de "justice" qui anime l'humanité, et qui doit permettre de critiquer et de réformer les systèmes juridiques existants, d'autre part
La question renvoie donc aux problèmes suivants : sur quels fondements donner un contenu aux normes de justice universelle ? Et comment concevoir l'application de telles normes, leur inscription dans la réalité ?


III - LES GRANDES LIGNES

A - Qu'est-ce qu'un droit particulier et relatif aux temps et aux lieux ?
B - Limites du droit positif : on ne peut poser un relativisme absolu comme postulat à la réflexion sur le droit.
C - Problème du fondement et de la force propre d'une telle exigence :
à quoi sert concrètement une réflexion sur le "droit naturel" ?


IV - UNE DEMARCHE POSSIBLE

A - Les relations entre les hommes sont régies par différentes sortes de règles.

Celles qui tranchent en dernière instance, souverainement, dans les états de droit, sont les normes constituives du droit dit "positif".
Ces normes sont à la fois nécessaires et toujours ressenties comme insuffisantes ou inadaptées, quand elles ne sont pas mises explicitement ou implicitement au service d'intérêts particuliers. De là naît une réflexion sur l'existence de normes supérieures au droit positif, à l'aune desquelles on pourrait juger et réformer le droit positif


B - "Summum jus, summa injuria",

disaient les romains, ce qui signifie : le comble du droit est le comble de l'injustice. Qui, en effet, n'a jamais éprouvé un sentiment d'injustice et de frustration face à telle ou telle décision de justice qui, semble-t-il, heurte le bon sens et le souci d'équité ?
Sans compter les appareils législatifs et judiciaires mis explicitement au service de l'inégalité ou de la barbarie : systèmes d'apartheid, régimes ploutocratiques ou totalitaires, qui ont su, au cours de l'histoire, recouvrir leurs agissements des apparences du droit.
Comme le montre Léo STRAUSS dans DROIT NATUREL ET HISTOIRE, il serait indigne et inhumain de renoncer entièrement au souci de justice, d'équité et de morale qui sous-tend les doctrines philosophiques ou religieuses que l'on regroupe sous l'appellation générique de "droit naturel".


C - Cependant, il reste à se demander

si une telle exigence de justice peut aller au-delà de ce que HEGEL appelle "le soupir de la belle âme" qui aspire intérieurement à un monde meilleur et maintient cette aspiration dans une sphère strictement intérieure, privée et imaginaire.
Certes la contrainte exercée par l'Etat ne doit pas empêcher chaque être humain de juger et de vouloir réformer les systèmes de droit existants : au "il faut" de la contrainte d'Etat s'oppose le "il faut" de la conscience morale.
Mais quels sont les "droits" propres de la morale face au droit positif ?
Au-delà de la méfiance philosophique d'un HEGEL qui estime qu'il n'y a pas de droit qui ne soit incarné dans un lieu et dans une histoire, aux rappels formels du juriste qui, à l'instar de KELSEN, montre que seule une norme juridique positive peut fonder une autre norme juridique, s'oppose concrètement dans l'histoire, la lutte des individus et des peuples opprimés.
Ce n'est pas l'injonction de la raison en chaque homme, mais la puissance de résistance de chaque homme, qui installe concrètement dans l'histoire la nécessité du respect de la justice due à chaque homme.


V - REFERENCES

Léo STRAUSS, DROIT NATUREL ET HISTOIRE, Chapitre I.
G.W.F. HEGEL, PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT.
Hans KELSEN, THEORIE PURE DU DROIT, paragraphe 15.


VI - LES FAUSSES PISTES

Il est très déconseillé de plaider en faveur d'un positivisme et d'un relativisme radicaux : c'est toujours la solution de facilité.
Il était également conseillé de préciser la distinction entre droit positif et droit naturel : il aurait été dangereux de s'engager dans ce sujet sans posséder un minimum de connaissances relatives au droit.


VII - LE POINT DU VUE DU CORRECTEUR

Le sujet est formulé de façon relativement complexe, mais pour cette raison il contient, si on le lit avec suffisamment d'attention, toutes les pistes qu'il était possible de suivre. Il est sans véritable piège.



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